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Une étude de cohorte semble montrer que les vitamines B (B6 et B12) augmentent le risque de cancer du poumon.1 Ces vitamines sont-elles réellement dangereuses pour votre santé ?

L’étude citée

L’équipe de chercheurs Blasky et collaborateurs a ré-analysé les données de l’étude VITAL, une étude d’observation effectuée à l’aide de questionnaires chez des adultes de 50 à 76 ans, de 2002 à 2009. Leur but était d’observer un lien possible entre la prise de vitamines B6 et B12 et le risque de cancer du poumon, en particulier chez des fumeurs.

Ces chercheurs arrivent à la conclusion que ce lien est présent chez des hommes, mais absent chez les femmes.2

Utilisation de questionnaires

Comme dans de nombreuses études de ce genre, l’évaluation de la consommation de vitamines B a été effectuée à l’aide d’un questionnaire demandant ici aux participants de décrire leur consommation de suppléments au cours des 10 dernières années. Le biais de mémoire est donc à prendre en considération lorsqu’on regarde les résultats. Il faut faire la distinction entre un lien possible (une corrélation vue dans une observation via des questionnaires) et un lien de cause à effet.

Une étude critiquée

L’étude de Blasky et collaborateurs a été décriée par plusieurs.3 Certains sont même d’avis que les auteurs auraient cherché le lien à l’aide de différentes techniques d’analyse, jusqu’à ce qu’ils trouvent celle qui démontre leur thèse…3

Hypothèse plausible…

D’un autre côté, l’hypothèse d’induction des gènes émise par les auteurs pour expliquer l’augmentation du cancer, sans être confirmée, est plausible. Ces résultats sont donc inquiétants. Reste à voir ce qu’en disent les autres études…

Une autre étude similaire

En ré-analysant les données de l’étude EPIC, Zuo et collaborateurs arrivent à des résultats qui vont dans le même sens que l’étude précédente, mais y ajoutent un autre aspect. Chez les fumeurs, l’inflammation (et possiblement un polymorphisme) entraine un changement du catabolisme de la B6 qui en diminue le métabolite actif (pyridoxal-5-phosphate). Chez ces fumeurs, il y aurait donc un lien d’augmentation du risque.4

Méta-analyses sur les vitamines B

Voici 3 méta-analyses sur les deux vitamines B ciblées dans l’étude de Blasky et collaborateurs.

Vitamine B6: 2 méta-analyses

Mocellin et collaborateurs, après une synthèse de 121 études d’observation, arrivent à la conclusion que la vitamine B6 (en particulier sa forme active, le pyridoxal-5-phosphate ou PLP) a le potentiel de réduire le risque de cancer (tous types). (There was a statistically significant inverse linear relationship between cancer risk and both vitamin B6 dietary intake and PLP levels. When total (food and supplements) intake was considered, the associations were weaker or null. Findings from RCTs did not support a protective effect of vitamin B6 against cancer, although this evidence was graded as low level.)5

Dans une autre méta-analyse, Wu et collaborateurs arrivent au même constat pour la prévention du cancer du sein. (Linear dose-response relationship was found, and the risk of breast cancer decreased by 23% for every 100pmolml−1 increment in PLP levels).6

Information manquante

Dans toutes ces études sur la vitamine B6, il manque une information importante: la forme de la vitamine ingérée. En effet, les suppléments de vitamine B6 existent sous 2 formes: la forme pharmaceutique, la pyridoxine, et la forme naturelle active, le pyridoxal-5-phosphate. Comme on sait que la forme naturelle des vitamines est, dans plusieurs cas (voir l’exemple de l’acide folique ci-dessous), plus sécuritaire et plus bénéfique que la forme pharmaceutique, il serait réellement intéressant de comparer les effets de ces 2 formes.

Vitamine B12: 1 méta-analyse

Selon Sun et collaborateurs, la vitamine B12 aurait un effet préventif contre le cancer colorectal.7 Je n’ai pas trouvé d’autre étude démontrant un lien entre la vitamine B12 et le cancer, ni dans un sens, ni dans l’autre.

Acide folique (B9): attention

Cette vitamine n’est pas mentionnée par Brasky et collaborateurs. Par contre, j’ai cru important de la mentionner ici.

Chez les personnes qui ont un problème de métabolisme dû à un polymorphisme d’un gène particulier (MTHFR), la consommation d’acide folique serait liée à une augmentation du risque de certains cancers, notamment colorectal.8,9

L’acide folique, un précurseur des folates, est la forme la plus fréquente de vitamine B9 en supplément. Suite à l’ingestion d’acide folique, l’organisme doit le transformer en métabolite actif, le 5-méthyle tétrahydrofolate (5-MTHF).

Chez la majorité des gens, la prise d’un supplément d’acide folique est bénéfique. Cette forme est d’ailleurs mieux absorbée que les folates.10 Par contre, comme elle doit être transformée avant d’être utilisée, cet avantage disparait quand on la compare aux folates alimentaires ou au 5-MTHF. D’ailleurs, l’intestin est très efficace pour transformer les folates alimentaires en 5-MTHF, mais beaucoup moins pour transformer l’acide folique.11 La prise d’acide folique entraine donc une charge accrue pour le foie.

Prévalence du polymorphisme et risques

La prévalence du polymorphisme (mutation) de la MTHF réductase (MTHFR) varie d’un endroit à l’autre sur la planète, entre 4% et près de 50% de la population.12 Si vous êtes porteur de cette variante, vous êtes à risque de moins bien métaboliser, ou même ne pas métaboliser du tout l’acide folique, et de développer une foule de maladies comme: 13

  • Certains cancers, notamment le cancer du côlon et du sein;
  • Si vous êtes enceinte, votre enfant pourrait être atteint de
    • Trisomie 21 (syndrome de Down)
    • Spina bifida
  • Fausse couche
  • Infertilité
  • Thrombose
  • Migraine
  • Taux d’homocystéine élevé et maladies reliées
    • Maladies cardiaques
    • Maladies neurologiques dégénératives (Alzheimer, Parkinson, etc.)
    • Ostéoporose
    • Vieillissement accéléré
  • Etc.

Ainsi, surtout si vous êtes porteur de cette mutation, la forme active des folates (5-méthyle tétrahydrofolate ou 5-MTHF) est toujours un meilleur choix de supplément que l’acide folique. Malheureusement, il est aussi plus couteux.

Opinions

Plusieurs sont d’opinion que la prise de vitamines est superflue ou même inutile et dangereuse. Comme nous l’avons vu, des études vont dans ce sens, d’autres dans le sens contraire.

Pour la forme, voici deux autres publications qui discutent de l’effet utile et préventif de l’usage de vitamines dans le contexte Nord-américain où, on le sait, la diète est loin d’être optimale. On a beau dire qu’on peut trouver tels nutriments dans tels aliments, encore faut-il que les gens en consomment et que lesdits aliments soient de qualité suffisante pour contenir réellement les nutriments aux concentrations prévues.

  • Dans la revue canadienne de physiologie et pharmacologie, Dakshinamurti mentionne que l’usage de vitamines B (B1 et B6), vitamine A et vitamine D peut aider à améliorer les maladies métaboliques et à diminuer le diabète.14
  • Mary L. Hardy de l’Université de Californie à Los Angeles mentionne que la prise de multivitamines chez des hommes diminue de 8% le risque de cancer.15 Cette diminution du risque atteint 27% chez ceux qui ont un historique de cancer.

Conclusion

Si vous êtes un homme et que vous fumez, une multivitamine ne vous fera probablement pas de tort. Par contre, les doses élevées de vitamines B6 et B12 sont peut-être à éviter, surtout les formes non naturelles.

Pour tous les autres, l’avertissement de ne pas consommer de vitamines B est, à mon avis, non fondé. Personnellement, je vais continuer à prendre les miennes.

Articles connexes

Références

  1. http://www.journaldemontreal.com/2017/11/26/les-supplements-de-vitamines-b-augmentent-le-risque
  2. Brasky TM, White E, Chen CL. Long-Term, Supplemental, One-Carbon Metabolism-Related Vitamin B Use in Relation to Lung Cancer Risk in the Vitamins and Lifestyle (VITAL) Cohort. J Clin Oncol. 2017 Oct 20;35(30):3440-3448. doi: 10.1200/JCO.2017.72.7735. PubMed PMID: 28829668; PubMed Central PMCID: PMC5648175. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28829668
  3. https://www.nutraingredients-usa.com/Article/2017/08/24/Statistical-chance-Academia-and-industry-cast-doubt-on-B-vitamin-lung-cancer-links
  4. Zuo H, Ueland PM, Midttun Ø, et al. Results from the European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition (EPIC) link vitamin B6 catabolism and lung cancer risk. Cancer Res. 2018 Jan 1;78(1):302-308. doi:10.1158/0008-5472.CAN-17-1923. Epub 2017 Oct 25. PubMed PMID: 29070616. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/29070616
  5. Mocellin S, Briarava M, Pilati P. Vitamin B6 and Cancer Risk: A Field Synopsis and Meta-Analysis. J Natl Cancer Inst. 2017 Mar 1;109(3):1-9. doi: 10.1093/jnci/djw230. Review. PubMed PMID: 28376200. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28376200
  6. Wu W, Kang S, Zhang D. Association of vitamin B6, vitamin B12 and methionine with risk of breast cancer: a dose-response meta-analysis. Br J Cancer. 2013 Oct 1;109(7):1926-44. doi: 10.1038/bjc.2013.438. PubMed PMID: 23907430; PubMed Central PMCID: PMC3790153. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3790153/
  7. Sun NH, Huang XZ, Wang SB, et al. A dose-response meta-analysis reveals an association between vitamin B12 and colorectal cancer risk. Public Health Nutr. 2016 Jun;19(8):1446-56. doi: 10.1017/S136898001500261X. PubMed PMID: 26373257. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26373257
  8. Cortese C, Motti C. MTHFR gene polymorphism, homocysteine and cardiovascular disease. Public Health Nutr. 2001 Apr;4(2B):493-7. Review. PubMed PMID: 11683544. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11683544
  9. Taioli E, Garza MA, Ahn YO, et al. Meta- and pooled analyses of the methylenetetrahydrofolate reductase (MTHFR) C677T polymorphism and colorectal cancer: a HuGE-GSEC review. Am J Epidemiol. 2009 Nov 15;170(10):1207-21. doi: 10.1093/aje/kwp275. Review. PubMed PMID: 19846566; PubMed Central PMCID: PMC2781761. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2781761
  10. Winkels RM, Brouwer IA, Siebelink E, et al. Bioavailability of food folates is 80% of that of folic acid. Am J Clin Nutr. 2007 Feb;85(2):465-73. PubMed PMID: 17284745. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/17284745
  11. Patanwala I, King MJ, Barrett DA, et al. Folic acid handling by the human gut: implications for food fortification and supplementation. Am J Clin Nutr. 2014 Aug;100(2):593-9. doi: 10.3945/ajcn.113.080507. PubMed PMID: 24944062; PubMed Central PMCID: PMC4095662.
  12. Yafei W, Lijun P, Jinfeng W, Xiaoying Z. Is the prevalence of MTHFR C677T polymorphism associated with ultraviolet radiation in Eurasia? J Hum Genet. 2012 Dec;57(12):780-6. doi: 10.1038/jhg.2012.113. PubMed PMID: 22992775. https://www.nature.com/articles/jhg2012113#f1
  13. Lynch Ben, http://mthfr.net/mthfr-research/2012/01/27/
  14. Dakshinamurti K. Vitamins and their derivatives in the prevention and treatment of metabolic syndrome diseases (diabetes). Can J Physiol Pharmacol. 2015 May;93(5):355-62. doi: 10.1139/cjpp-2014-0479. Review. PubMed PMID: 25929424. http://www.nrcresearchpress.com/doi/abs/10.1139/cjpp-2014-0479#.Wjl3GY6KxWw
  15. Hardy ML, Duvall K. Multivitamin/multimineral supplements for cancer prevention: implications for primary care practice. Postgrad Med. 2015 Jan;127(1):107-16. doi: 10.1080/00325481.2015.993284. Review. PubMed PMID: 25584933. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25584933

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